J’ai 42 ans et j’ai été victime de viols incestueux entre mes 8 et
mes 17 ans. Je n’en ai parlé ni à ma famille, ni à mes amis. Il a fallu
plus de 30 ans pour que je puisse mettre enfin des mots sur ce qui
m’était arrivé.
Cette proposition de loi sur le délai de prescriptions est une excellente chose. Je ne peux que l’applaudir. J’espère que de nombreuses victimes auront le courage d’intenter un procès à leur agresseur. Mais je ne me sens pas concernée pour autant.
Pendant longtemps, j’ai mis un mouchoir sur les viols dont j’ai été victime, mais j’ai réussi à tourner la page. Hors de question pour moi de porter plainte maintenant, cela ne ferait que raviver une plaie qui m’a déjà fait tellement souffrir.
Le mal est fait et rien ne pourra le réparer.
La première fois, j’avais huit ans
La première fois que cela s’est produit c’était chez ma grand-mère, dans son salon. Alors que celle-ci préparait le repas dans la cuisine, mon cousin a commencé à me toucher l’entrejambe. Je n’ai pas réagi, mais une sensation de mal-être m’a immédiatement envahie. Il avait 17 ans, moi huit ans. Je ne savais pas exactement ce qui venait de se passer, mais j’avais conscience que ce n’était pas normal.
Dans ce cas de figure, si la victime n’arrive pas à stopper un premier viol, l’agresseur a de forte chance de récidiver. Avec les années, mon cousin a continué ces attouchements avant de finalement passer à la pénétration.
À chaque fois, il me disait que c’était notre "secret", que je ne devais le dire à personne car on ne me croirait pas et qu’on me mettrait en pension, et que de toute façon "je prenais du plaisir".
Pendant près de 10 ans, il me violait régulièrement, une fois par mois environ. Tout ce temps, je l’ai passé dans le déni le plus complet.
Il m’a détruite à petit feu
C’est en écoutant la chanson "Lemon Incest" de Serge Gainsbourg que j’ai compris : j’étais victime d’inceste. Le viol, lui, n’est venu que bien plus tard. J’avais conscience que ce n’était pas normal, mais son emprise sur moi était trop forte.
Dans les films, lors de scènes de viol, ce genre d’agression est souvent accompagné d’une violence physique, la mienne était psychologique. Mon bourreau m’a détruite à petit feu, insidieusement, sans que je réalise ce qui m’arrivait. Je me sentais honteuse car j’avais été passive dans un acte honteux.
Mais le plus difficile a été d’effacer de mon esprit tout sentiment de culpabilité. J’avais l’impression d’avoir été acteur d’une déviance, que peut-être j’avais cherché mes cousins. Il m’a fallu des années de thérapie pour y arriver.
Le silence, cette omerta qui tue les victimes
Un autre cousin s’est mis par la suite à me violer. Là, je me suis plongée dans un silence complet, la plus terrible des omerta pour une victime de viols, celle dont on meurt.
Je suis fille unique. Ma mère était quelqu’un de diplomate, elle était intelligente mais fragile nerveusement, je n’avais pas envie de lui infliger cette douleur. C’était mon fardeau et je ne voulais pas le partager. Elle est morte quand j’avais 21 ans sans que je lui dévoile mon secret. Mon père, lui, était quelqu’un de colérique, un trait de caractère qui laisse peu de place à la confession.
Ce n’est qu’à mes 17 ans, lorsque le frère du premier agresseur a tenté d’abuser de moi, que j’ai finalement réussi à dire non. Jeune adulte, j’ai tenté d’en parler à mes amis proches, mais ils n’ont pas su comment réagir. À cet âge, personne n’est taillé pour recevoir un tel témoignage.
Puis le temps a fait son effet : j’ai coupé les liens avec mon passé pour me consacrer à mon avenir.
Je n’ai compris qu’en 2012 que j’avais été violée
En 2002, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai tenté d’en parler à mon thérapeute. Ce dernier m’a répondu avec nonchalance que ce genre de relation était une "rigolade", que je ne devais pas culpabiliser pour si peu. J’avais hésité à lâcher le morceau, il n’a fait que me confirmer qu’il valait mieux se taire.
Ces agressions à répétition ont eu un impact indéniable sur ma personnalité et ma peur des hommes (perte de libido, phobies), et même sur ma santé. J’ai pris du poids, j’ai fait de l’apnée du sommeil et de l’hypoglycémie. Obèse, j’ai décidé en 2012 de me faire passer un bypass gastrique, mais cette opération nécessitait un suivi psychologique.
Confrontée à une nouvelle thérapeute, je n’ai pas eu le courage de lui dire de vive voix et j’ai préféré lui écrire mon traumatisme. Ma thérapeute m’a expliqué que j’avais été victime de viols incestueux. Enfin, les mots étaient prononcées et le silence rompu. J’ai compris que je ne pouvais qu’aller mieux.
L’un a reconnu les faits, les autres ont nié
Je n’ai jamais voulu porter plainte et je crois que cela ne changera pas de sitôt car j’estime qu’ils sont plus à plaindre que moi. Depuis, je les ai tous revus pour les confronter à leurs crimes et je préfère les laisser vivre avec leur culpabilité.
L’un a reconnu les faits, les autres ont nié. C’était déjà une victoire pour moi : je n’étais pas folle, ces agressions avaient bien eu lieu. Aujourd’hui, je lui ai pardonné mais cela ne change en rien nos relations. Nous ne nous voyons plus et sa famille me considère comme une folle.
Je ne veux pas être à nouveau jugée
Ce changement de la loi est une bonne chose, mais il n’est pas suffisant :
La seule raison qui pourrait me faire changer d’avis serait l’intime conviction qu’un autre membre de ma famille est actuellement victime de mes agresseurs.
Aujourd’hui, je suis mariée et j’ai deux enfants. Ils sont au courant car le voile est définitivement levé. J’ai l’impression d’avoir été jugée toute ma vie, je n’ai pas envie de revivre cette situation.
Cette proposition de loi sur le délai de prescriptions est une excellente chose. Je ne peux que l’applaudir. J’espère que de nombreuses victimes auront le courage d’intenter un procès à leur agresseur. Mais je ne me sens pas concernée pour autant.
Pendant longtemps, j’ai mis un mouchoir sur les viols dont j’ai été victime, mais j’ai réussi à tourner la page. Hors de question pour moi de porter plainte maintenant, cela ne ferait que raviver une plaie qui m’a déjà fait tellement souffrir.
Le mal est fait et rien ne pourra le réparer.
La première fois, j’avais huit ans
La première fois que cela s’est produit c’était chez ma grand-mère, dans son salon. Alors que celle-ci préparait le repas dans la cuisine, mon cousin a commencé à me toucher l’entrejambe. Je n’ai pas réagi, mais une sensation de mal-être m’a immédiatement envahie. Il avait 17 ans, moi huit ans. Je ne savais pas exactement ce qui venait de se passer, mais j’avais conscience que ce n’était pas normal.
Dans ce cas de figure, si la victime n’arrive pas à stopper un premier viol, l’agresseur a de forte chance de récidiver. Avec les années, mon cousin a continué ces attouchements avant de finalement passer à la pénétration.
À chaque fois, il me disait que c’était notre "secret", que je ne devais le dire à personne car on ne me croirait pas et qu’on me mettrait en pension, et que de toute façon "je prenais du plaisir".
Pendant près de 10 ans, il me violait régulièrement, une fois par mois environ. Tout ce temps, je l’ai passé dans le déni le plus complet.
Il m’a détruite à petit feu
C’est en écoutant la chanson "Lemon Incest" de Serge Gainsbourg que j’ai compris : j’étais victime d’inceste. Le viol, lui, n’est venu que bien plus tard. J’avais conscience que ce n’était pas normal, mais son emprise sur moi était trop forte.
Dans les films, lors de scènes de viol, ce genre d’agression est souvent accompagné d’une violence physique, la mienne était psychologique. Mon bourreau m’a détruite à petit feu, insidieusement, sans que je réalise ce qui m’arrivait. Je me sentais honteuse car j’avais été passive dans un acte honteux.
Mais le plus difficile a été d’effacer de mon esprit tout sentiment de culpabilité. J’avais l’impression d’avoir été acteur d’une déviance, que peut-être j’avais cherché mes cousins. Il m’a fallu des années de thérapie pour y arriver.
Le silence, cette omerta qui tue les victimes
Un autre cousin s’est mis par la suite à me violer. Là, je me suis plongée dans un silence complet, la plus terrible des omerta pour une victime de viols, celle dont on meurt.
Je suis fille unique. Ma mère était quelqu’un de diplomate, elle était intelligente mais fragile nerveusement, je n’avais pas envie de lui infliger cette douleur. C’était mon fardeau et je ne voulais pas le partager. Elle est morte quand j’avais 21 ans sans que je lui dévoile mon secret. Mon père, lui, était quelqu’un de colérique, un trait de caractère qui laisse peu de place à la confession.
Ce n’est qu’à mes 17 ans, lorsque le frère du premier agresseur a tenté d’abuser de moi, que j’ai finalement réussi à dire non. Jeune adulte, j’ai tenté d’en parler à mes amis proches, mais ils n’ont pas su comment réagir. À cet âge, personne n’est taillé pour recevoir un tel témoignage.
Puis le temps a fait son effet : j’ai coupé les liens avec mon passé pour me consacrer à mon avenir.
Je n’ai compris qu’en 2012 que j’avais été violée
En 2002, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai tenté d’en parler à mon thérapeute. Ce dernier m’a répondu avec nonchalance que ce genre de relation était une "rigolade", que je ne devais pas culpabiliser pour si peu. J’avais hésité à lâcher le morceau, il n’a fait que me confirmer qu’il valait mieux se taire.
Ces agressions à répétition ont eu un impact indéniable sur ma personnalité et ma peur des hommes (perte de libido, phobies), et même sur ma santé. J’ai pris du poids, j’ai fait de l’apnée du sommeil et de l’hypoglycémie. Obèse, j’ai décidé en 2012 de me faire passer un bypass gastrique, mais cette opération nécessitait un suivi psychologique.
Confrontée à une nouvelle thérapeute, je n’ai pas eu le courage de lui dire de vive voix et j’ai préféré lui écrire mon traumatisme. Ma thérapeute m’a expliqué que j’avais été victime de viols incestueux. Enfin, les mots étaient prononcées et le silence rompu. J’ai compris que je ne pouvais qu’aller mieux.
L’un a reconnu les faits, les autres ont nié
Je n’ai jamais voulu porter plainte et je crois que cela ne changera pas de sitôt car j’estime qu’ils sont plus à plaindre que moi. Depuis, je les ai tous revus pour les confronter à leurs crimes et je préfère les laisser vivre avec leur culpabilité.
L’un a reconnu les faits, les autres ont nié. C’était déjà une victoire pour moi : je n’étais pas folle, ces agressions avaient bien eu lieu. Aujourd’hui, je lui ai pardonné mais cela ne change en rien nos relations. Nous ne nous voyons plus et sa famille me considère comme une folle.
Je ne veux pas être à nouveau jugée
Ce changement de la loi est une bonne chose, mais il n’est pas suffisant :
- il faudrait qu’il n’y ait plus aucun
délai de prescription. Si une femme de 80 ans souhaite porter plainte,
elle doit pouvoir le faire, même à titre posthume.
- aujourd’hui, la justice française
condamne les agresseurs sur un faisceau de preuves. Mais qu’en est-il
des expertises psychologiques ou médicales ? Contrairement à la
législation américaine, elles ne font pas office de preuves. Mon dossier
médical a beau être conséquent, si je porte plainte cela restera leur
parole contre la mienne.
- en cas de délit financier, les
enquêteurs peuvent mettre plusieurs années pour remonter le filon.
Pourquoi les victimes de viols ne pourraient-elles pas avoir un délai
pour pouvoir constituer un dossier solide et pour être suffisamment
fortes pour affronter leurs agresseurs ?
La seule raison qui pourrait me faire changer d’avis serait l’intime conviction qu’un autre membre de ma famille est actuellement victime de mes agresseurs.
Aujourd’hui, je suis mariée et j’ai deux enfants. Ils sont au courant car le voile est définitivement levé. J’ai l’impression d’avoir été jugée toute ma vie, je n’ai pas envie de revivre cette situation.
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